Simenon et ses traducteurs

Après une première vague de traductions souvent tronquées et plus ou moins fidèles, de nombreux éditeurs étrangers font découvrir ou redécouvrir l’oeuvre de Simenon dans toute sa dimension littéraire. Comment fait-on “passer” l’univers de Simenon dans les différentes langues?

Avec Nicolae Constantinescu, (éditions Polirom, Roumanie) ; Caridad Martinez, professeur d’université, (éditions Acantilado, Espagne) ; Ena Marchi (éditions Adelphi, Italie), et moi-même. Animé par Laurent Demoulin, conservateur du Fonds Simenon de l’Université de Liège, au Salon du livre de Paris, le 24 mars 2013, avec la participation d’ ATLF/ATLAS-SGDL.

Les conditions de captation n’ayant pas été idéales, nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour la médiocrité du cadrage et du son.

À la fin de cette présentation, Monsieur Constantinescu m’a remis ce court texte qu’il m’a autorisé à partager avec vous:

POUR LE TRADUCTEUR DE SIMENON

Celui qui traduit les romans de Simenon, je pense surtout à la série des « Maigret », doit affronter plusieurs défis.

On dit que les livres de Georges Simenon ne sont pas difficiles à traduire. Mais il ne faut pas se tromper, car le choix des mots roumains pour restituer généralement les nuances et en particulier celles d’un temps passé est souvent délicat.

Premièrement, le titre : il n’a rien d’un titre de roman policier. II est une sorte d’énoncé fort simpliste qui n’a pas la vocation d’allécher les fans de romans policiers ordinaires. Mais il faut résister à la tentation de le changer par un autre plus attrayant, il convient de le respecter et d’habituer le lecteur à ce genre de simplicité déroutante.

Et puis, si on veut raconter le sujet, faire un résumé, on peut se trouver dans un certain embarras. Il n’est pas facile de convaincre qu’il s’agit d’un vrai roman policier. Et c’est bien vrai, car c’est aussi « autre chose », et le traducteur doit découvrir et restituer cette « autre chose » dans sa version.

Le traducteur doit aussi être très exact s’il veut reproduire la fameuse atmosphère Simenon : les saisons, les sons, les odeurs, la lumière et l’ombre, le sommeil avec ses rêves, tout y concoure pour tracer des tableaux vivants en quelques touches bien choisies. Et, évidemment, il ne faut pas oublier la célèbre pipe qui accompagne partout le commissaire, impatient de s’imprégner de l’ambiance des lieux où le crime a été commis.

Puis, vient un moment très excitant et le traducteur ne doit pas se méprendre sur les intentions de l’auteur, mais doit surtout souligner le doute. Simenon passe en revue les preuves, les données, les tuyaux dans une perspective d’incertitude. Et ici, nous pouvons envisager deux arrière-pensées de I’auteur : un défi pour le lecteur, qui aurait toutes les données pour dénicher le coupable (on peut essayer, si l’on veut !); une opportunité pour pousser le lecteur sur une fausse piste. Car Simenon ne se prive pas de dépister le lecteur.

À la fin, le dénouement n’a plus d’importance, on ne le pense pas comme quelque chose d’explosif, comme une grande surprise, un aboutissement inattendu. La punition ne compte qu’accessoirement – il arrive même au commissaire de fermer les yeux sur les fautifs.

On reste avec un trouble, rythmé parfois par la pluie (il pleut beaucoup !), avec la vie des personnages. Le comble de l’émotion ne vient pas se fixer la fin du roman, car elle nous pousse en arrière vers l’essence de la manière de vivre des protagonistes et les rôles secondaires sont quelquefois fabuleux.

D’ailleurs, le traducteur doit être très prudent quand ii s’agit d’un personnage secondaire, qui est toujours important et a sa raison d’être pour le déroulement de l’action. Comment aborder les personnages secondaires? II est nécessaire de bien comprendre les intentions de l’auteur qui les décrit en quelques mots. En réalité, ii ne les décrit pas, il les surprend dans leur milieu, dans leur environnement pour créer quelquefois une certaine inquiétude.

Le cas tout à fait différent est celui de Madame Maigret. Elle est toujours prévenante, attentionnée pour son mari, mais il est facile de l’imaginer clignant de l’œil et murmurant : « Oh vous savez, les hommes, il ne faut jamais les prendre au sérieux ! »

Quelqu’un m’a demandé un jour : « Quel plaisir trouvez-vous a traduire Simenon? »

Et bien, je peux dire que ce n’est plus un plaisir, mais une drogue. L’atmosphère, imaginée apparemment sans effort, est miraculeusement envoutante; les personnages sont d’une diversité qui peut bien déclencher une réjouissance presque vicieuse. C’est toujours différemment et étrangement passionnant de se laisser guider, maintes fois sournoisement, dans une nouvelle affaire par le « raccommodeur de destinées ».

Finalement, cette même personne m’a questionné sur l’adage italien traduttore traditore. Et je lui ai répondu que c’est assez juste et, en ce sens, je pourrais être vu comme l’un des grands traitres par le nombre de mes attentats. En tout cas, je fais des efforts pour rester un amoureux fidèle qui ne trahit jamais l’idée et pour ne pas abimer le style. Et j’ai toujours à l’esprit ce que disait Georges Simenon dans un interview : « Je cherche un style, non seulement neutre, mais un style qui colle a la pensée de mon personnage à ce moment-la. Le style doit suivre tout le temps, changer à mesure que pense mon héros. […]»

Enfin, sans cesse, je pense : « Si on traduisait de cette manière… »
« Mais non, car… » me dis-je alors tout de suite.

Mais tout ça, chers fans de Simenon, c’est, si j’ose dire, les si-mais-non du traducteur.

2 thoughts on “Simenon et ses traducteurs

  1. Murielle Wenger

    Bravo pour ce traducteur qui ressent si bien les choses ! Je ne connais pas le roumain, donc je ne peux pas vérifier ce que donnent les traductions de M. Constantinescu, mais je pense qu’on peut lui faire confiance, car il a bien compris Simenon !
    John, si vous avez le moyen de transmettre mon message à M. Constantinescu, dites-lui mon admiration pour le respect qu’il a du texte de Simenon…

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    1. John Simenon Post author

      Merci pour votre commentaire. Je vais inviter M. Constantinescu à le lire directement sur le site.

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