Environs de La Rochelle 1932-1934

Ce week-end, j’ai profité de la projection de «L’Escalier de fer» au festival de la fiction TV de La Rochelle, pour visiter une fois de plus ces lieux sous le signe de Simenon. Toujours avec pour compagnon La France de Simenon en images de Michel Lemoine et Claude Menguy, dont je cite ci-dessous (en noir) des extraits concernant ces lieux.

 


Afficher Simenon en Poitou – Charentes sur une carte plus grande

 

Marsilly, La Richardière

La demeure proche de La Rochelle où Simenon vit par intermittence, en raison de nombreux voyages, de février 1932 à février 1935 se trouve sur le territoire de Marsilly et s’appelle La Richardière. Elle fait forte impression à Régine : « Nous sommes transportés d’enthousiasme. La vieille demeure a du charme, des jardins en contrebas, des fossés d’irrigation. Un petit bois. Beaucoup de communs. Des cours de ferme, des chais, etc. Pas loin de la mer. Il y a tout à faire. Pas d’eau courante, pas d’électricité et tout à meubler » (Souvenirs). Simenon appréciait également beaucoup ce domaine où il se livrait à l’élevage.

« Nous vivions à La Richardière, pas un château mais une vieille gentilhommière non loin de La Rochelle, avec une tour étroite et son escalier intérieur en pierre blanche qu’on appelait autrefois un pigeonnier. […]
Dans le grand étang qui recevait, à marée haute, sa ration d’eau de mer, barbotaient près de cinq cents canards disposant de maisonnettes peintes en vert sur un îlot. Derrière le potager, nous élevions des lapins blancs aux yeux rouges […]. Une cinquantaine de dindons blancs circulaient en paix, parmi les oies et les poules […] ».

Mémoires intimes

On peut croire que Simenon a pensé à La Richardière quand il a évoqué la demeure de Marsilly où habite Victor Lecoin :

« La maison était la plus grande et la plus belle du village. Elle avait environ deux siècles et elle avait appartenu longtemps à une famille noble. […]
Maintenant, il était chez lui dans la maison de pierre que certains appelaient le château et la principale ferme lui appartenait, sans compter des pièces de terre par-ci par-là ».

Le Riche Homme

 

Marsilly: La Richardière

Marsilly: La Richardière. © Simenon.tm

Marsilly: La Richardère

Marsilly: La Richardère. Photo J. Simenon, sept. 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est le tout nouveau propriétaire de La Richardière, Georges Micou, qui loua son domaine en février 1932 à un Simenon ravi au point de souhaiter l’acheter. À cette époque, la ferme était toujours exploitée par Alphonse Gaucher. En septembre 1934, non seulement Micou n’avait toujours pas l’intention de vendre, mais il décida en outre d’occuper et d’exploiter lui-même la ferme. Cette perspective était loin d’enchanter le romancier et son épouse qui cherchèrent à se loger ailleurs. Quant à Gaucher, il se retira à Nieul s/ Mer dans une maison que Simenon, par un étrange hasard, devait acheter quelques années plus tard. Dans son Inventaire de la France ou Quand la crise sera finie, une série d’articles parus dans Le Jour du 31 octobre au 7 novembre 1934, l’écrivain raconte, aux chapitres 2 et 3, ces convoitises terriennes dont La Richardière faisait l’objet. La propriété s’y appelle toutefois La Hucherie, Micou et Gaucher devenant respectivement, eux, Maloin et Grolier. Chose amusante : dans Le Rapport du gendarme, roman écrit en septembre 1941, Simenon se souviendra des patronymes Micou et Gaucher qui désigneront des personnages de ce roman du terroir vendéen dont une ferme tient justement lieu de cadre spatial principal. C’est dire combien le romancier était toujours imprégné des souvenirs liés à Marsilly et à La Richardière. Par la suite, Micou servira encore à nommer des personnages dans L’Homme à barbe, Le Petit Tailleur et le chapelier et Maigret et la Grande Perche.

À La Richardière, Simenon travaille dans un bureau aménagé à l’étage. Sa machine à écrire se trouvait-elle sur une petite table [1] ou au contraire sur « une table immense dont la seule garniture, outre une machine à écrire, était une demi-douzaine de manuscrits »[2] ? Là sont en tout cas rédigés plusieurs romans : Liberty-Bar, Le Coup de lune, La Maison du canal, L’Âne-Rouge, Les Fiançailles de Mr. Hire, L’Écluse N° 1, Les Gens d’en face, Le Haut Mal, Le Locataire, Les Suicidés et Les Pitard au moins. L’écrivain abandonne pourtant souvent La Richardière pour des voyages qui laissent dans la propriété des traces dont témoigne l’évocation d’un journaliste auquel Simenon fait visiter son domaine : « Tour à tour défileront : une hutte nègre, un parc de faisans, un grenadier en fleurs, une forêt de bambous, l’île aux canards, des pavots de Chine, un canoë du Gabon, un bouc qui chique, deux loups d’Anatolie, Ghazi et Nejla, souvenirs de son dernier voyage en Turquie, et un dindon blanc superbe répondant au nom de Maigret »[3]. Le romancier ressuscitera ce « vieux bouc qui chiquait le tabac » dans La Chambre bleue, un roman écrit trente ans plus tard. Une correspondante qui a vécu de cinq à sept ans à La Richardière de l’époque se souvient également de l’animal dont elle livre même le nom : « Je jouais aussi avec un bouc “ Jasmin ”, à la robe noire, aux yeux pailletés d’or. Je l’aimais beaucoup et il me le rendait bien »[4]. C’est l’époque « gentilhomme campagnard », comme le note judicieusement Régine :

« Nous avions déjà volailles, canards, lapins, chèvre ; à présent, nous avons une vache. De Paris, Georges revient avec un cheval acheté au cirque Raney : Polo, jeune arabe. Puis il veut des oies, des faisans, des dindons, des pigeons, et d’autres animaux s’ajouteront. Tout ça va faire des petits, et j’aurai des couvées plein les bras. […]
Plus tard, nous aurons aussi des pintades, des perdrix, des lapins angoras et épilés, des oiseaux des îles, des tourterelles, que sais-je encore… Côté écurie, un cheval de plus, la jument Zouzou ».

Tigy Simenon, Souvenirs

La Prée-aux-Bœufs

Simenon situe parfois l’action de ses romans dans la campagne environnante. Ainsi, deux d’entre eux sont centrés sur des exploitations proches de La Richardière. Réservant Le Coup-de-Vague pour accompagner le deuxième habitat de Simenon en Charente-Inférieure (aujourd’hui Maritime), nous nous attacherons ici au cadre du Haut Mal, le domaine de La Prée-aux-Bœufs :

« Il y avait un an qu’il [Jean Nalliers] avait épousé une fille Pontreau, Gilberte, et que son père lui avait acheté la Pré-aux-Bœufs [sic], une propriété isolée, au bord de la mer, entre Esnandes et La Pallice ».

Le Haut Mal

Marsilly: La Prée-aux-Bœufs

Marsilly: La Prée-aux-Bœufs. Photo J. Simenon, sept. 2013

Isolée parmi les prés, le long de la route côtière entre Marsilly et Nieul-sur-Mer, la longue bâtisse de La Prée-aux-Bœufs a été exploitée par des fermiers jusqu’en 1935. On lira dans Les Chemins charentais de Simenon[5] le commentaire de Paul Mercier concernant l’utilisation du bâtiment de La-Prée-aux-Bœufs par Nicole Avril dans La Disgrâce[6], et notamment la conclusion de l’essayiste : « Nicole Avril, comme Simenon, a été séduite par la magie de cette ferme fortifiée qui s’accorde à l’imaginaire romanesque prêté aux figures féminines, des sorcières vieilles ou adolescentes, dont les maléfices sont tout-puissants et dont les crimes resteront impunis ».

 

La moisson

Le roman s’ouvre sur une scène décalée où les travaux des champs sont perçus depuis la cuisine de la ferme.

« Par les fenêtres de la cuisine, on voyait un grand morceau de plaine, avec, au premier plan, la meule qui enflait, la machine à battre, les charrettes […].
Au-delà des fenêtres, la chaleur était étouffante et l’air vibrait comme s’il eût été habité par des myriades de mouches, et une vibration plus subtile, que l’œil parvenait à distinguer, montait de la terre couverte de chaume pâle.
Par-dessus tout régnait le ronronnement de la batteuse, qui imprégnait le paysage entier, donnait aux gens et aux choses son rythme haletant au point que chacun restait en suspens quand elle s’arrêtait à cause d’une bougie encrassée ».

Le Haut Mal

 

Battage du foin en Charentes

Battage du foin en Charentes. Coll. Paul Mercier

 

« Le chemin de la mer »

Dans cette contrée, on n’est jamais loin de la mer :

« On atteignit le premier tournant de Nieul, puis le premier mur blanc, la première maison. On aperçut l’auberge de Louis, qui venait d’être repeinte en bleu clair. Des jeunes filles endimanchées attendaient l’autobus et regardèrent vaguement l’auto qui s’engageait sur le chemin de la mer. […]
— Va jusqu’à la mer, Albert.
Le chemin traversait des champs puis s’arrêtait devant les galets de la côte ».

Le Haut Mal

 

Une « première » à l’île de Ré

Sous ce titre, Simenon a fait paraître dans Voilà, le 7 octobre 1933, un reportage sur l’embarquement des forçats pour le bagne. Ce texte constituait la suite d’un autre, La Caravane du crime, paru dans Détective le 28 septembre 1933. Le romancier avait en effet été attiré par un événement se déroulant près de chez lui.

 « La troupe et les gendarmes encadrent forçats et relégués. Les officiels marchent devant.
Il n’y a que trois cents mètres à parcourir. Le chemin est tout feuillu. Au bout, seulement, près du quai, les curieux sont entassés.
On ne parle pas. La colonne fait un bruit assourdi mais puissant de troupeau en marche.
— Les voilà !…
On se bouscule un peu. Les premiers rangs de forçats se disloquent et les hommes, en file indienne, s’engagent sur la passerelle du Coligny ».

Une « première » à l’île de Ré

La scène est transposée dans Le Locataire, un roman écrit à la même époque.

« Il était juste une heure quand la porte du pénitencier s’ouvrit, et les officiels parurent, silhouettes noires, au bout du chemin.
Derrière eux, le cortège s’étira, tandis que les gendarmes, sur le quai, résistaient à la poussée de la foule. […]
Sept cents hommes marchaient derrière eux, encadrés de tirailleurs sénégalais, au pas, lentement, à cause de leurs sabots. Ils n’avaient plus leurs vêtements civils. Tous étaient vêtus de bure brune, la couverture sur l’épaule, sac au dos, un étrange bonnet noir sur la tête ».

Le Locataire

 

Untitled

Embarquement des forçats pour le bagne.
Ed. artistiques Raymond Bergevin

 

Le reportage caractérise brièvement le port de Saint-Martin-de-Ré :
« Il n’y a que trois ou quatre petits hôtels autour du port, qui est un bassin minuscule. Les maisons sont basses. […]
Chaque bateau apporte un nouveau contingent ».

Une « première » à l’île de Ré

 

Untitled

Île de Ré, le port de Siant-Martin-en-Ré.
Éd. Nozais

 


 

[1] Lettre de François Blanche à Georges Simenon datée de Paris, le 30 juillet 1975 ; Fonds Simenon de l’Université de Liège.

[2] Maurice Simmindenger, Simenon tel que je l’ai connu, « La Nouvelle République », Bordeaux, 28 mars 1952.

[3] Serge, En galopant dans le marais vendéen avec Georges Simenon, « Comœdia », 10 octobre 1933)

[4] Lettre de Michèle Meyer à Georges Simenon datée du Vésinet, le  15 avril 1976 ; Fonds Simenon de l’Université de Liège

[5] Le Croît vif, 2003

[6] Albin Michel, 1981

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