Revoir la Normandie de Gide et Simenon: Cuverville, Dieppe

En cette fin de moi d’août, je profite de l’invitation de la mairie de Deauvile à l’inauguration d’une plaque commémorant le séjour de mon père dans cette ville en 1931 pour visiter les différentes villes normandes où il a séjourné.

Lundi 26 août: Cuverville et Dieppe, avec pour m’accompagner, La France de Simenon en images de Michel Lemoine et Claude Menguy, dont je cite ci-dessous (en noir) des extraits concernant ces villes.

 


Afficher Simenon en Normandie sur une carte plus grande

 

Une escapade normande et gidienne à Cuverville

À Paris, en 1945, Simenon se démène afin de recevoir un ordre de mission pour le Canada : « Ce sera une bataille pour obtenir passeport et visas », note Régine dans ses Souvenirs. Il s’absente pourtant assez souvent de la capitale ; par exemple, il fait des sauts à Londres, son départ devant s’effectuer en bateau depuis l’Angleterre. En voiture, il conduit aussi André Gide, retrouvé avec joie à Paris, jusqu’au château familial de Cuverville, que l’auteur de La Porte étroite affectionnait tant. Simenon évoque ce déplacement, qui a eu lieu en juin, lorsqu’il enregistre en 1979 des souvenirs normands pour France 3 / Radio-Normandie.

« Mon dernier voyage en Normandie a eu lieu en compagnie d’André Gide en 1945. La fin de la guerre lui donnait enfin l’occasion de reprendre contact avec sa maison natale [sic] de Cuverville. Nous y sommes arrivés cahin-caha et nous avons trouvé une villa qui avait dû être charmante au milieu d’un grand jardin. Malheureusement, la villa était décrépite et le jardin était complètement inculte ».

Sur les traces de Georges Simenon en Normandie

Ces termes dépréciatifs contrastent avec ce qu’il écrit à chaud au « Maître » :

« J’ai gardé un merveilleux souvenir des deux jours que vous avez bien voulu partager avec moi et l’auto, avec son moteur neuf, est plus gaillarde qu’avant. […] Merci encore, mon cher Maître, pour les deux jours de Normandie ».

Sans trop de pudeur. Correspondance 1938-1950

Cuverville est situé très près de Criquetot-l’Esneval et dépendait de ce bourg en matière postale. Est-ce dès lors un hasard si, dans Le Bateau d’Émile, nouvelle écrite peu après le voyage à Cuverville, François Larmentiel possède « un petit château du côté de Criquetot »? On pourrait objecter à cette hypothèse que le château de Cuverville n’est pas précisément petit, mais les souvenirs livrés à France 3 / Radio-Normandie ne sont guère laudatifs non plus et n’utilisent même pas le terme de « château ».

 

L’hôtel du Rhin et de Newhaven

Si le prolifique écrivain compose à Marsilly une dizaine de romans, il le fait entre des voyages qui le conduisent en Afrique équatoriale du 17 juin à la fin août 1932, en Europe de l’Est de la mi-février à la mi-mars 1933, en Turquie et sur le littoral soviétique de la mer Noire du 25 mai au 26 juillet de la même année. Il continue cependant à parcourir la France et fait notamment à Dieppe un séjour que nous situons en octobre 1933, peut-être au retour d’un voyage à Londres. À cette occasion, il descend à l’hôtel du Rhin et de Newhaven, 12, boulevard de Verdun, et note cette appréciation, malheureusement non datée, dans le Livre d’Or de l’établissement : « J’ai bien mangé au Rhin ». La ville sert de cadre spatial à un roman écrit sur place ou peu après et paru en décembre 1933, L’Homme de Londres, où l’hôtel n’est pas absent :

« Un tronçon de ruelle menait à la digue, à courte distance de l’Hôtel de Newhaven. L’hôtel était signalé par deux boules en verre dépoli qui flottaient dans le brouillard comme des lunes. […]
Voilà ce qu’elle [Madame Dupré, patronne de l’hôtel] avait oublié de lui dire [à l’inspecteur Molisson] : au-dessus de la salle à manger et du hall, il y avait une terrasse de plain-pied avec les fenêtres des chambres ! »

L’Homme de Londres

 

Dieppe, Hôtel du Rhin et de Newhaven

Dieppe, Hôtel du Rhin et de Newhaven

Dieppe, Hôtel du Rhin et de Newhaven

Dieppe, ce qui reste de l’Hôtel du Rhin et de Newhaven. Photo J. Simenon, août 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand Simenon séjourna dans l’hôtel, alors tenu par la famille Ruette, la façade venait d’être rénovée.

 

La cabine de l’aiguilleur

Le héros de L’Homme de Londres, Louis Maloin, exerce le métier d’aiguilleur à la gare maritime de Dieppe.

« À huit heures moins deux, il passait en face de la gare maritime. À huit heures moins une, il commençait à gravir l’échelle de fer conduisant à son perchoir.
Il était aiguilleur. Contrairement aux autres aiguilleurs, dont la cabine se trouve en dehors de la vie normale, plantée parmi les voies, les remblais et les signaux, il avait la sienne en pleine ville et même en plein cœur de la ville. Cela tenait à ce que sa gare n’était pas une vraie gare, mais une gare maritime. Les bateaux qui arrivaient d’Angleterre deux fois par jour, à une heure et à minuit, se rangeaient le long du quai. Le rapide de Paris, quittant la gare ordinaire, à l’autre bout de Dieppe, traversait les rues comme un tramway et s’arrêtait à quelques mètres du navire.
Il n’y avait que cinq voies en tout, et pas de palissades, pas de talus, rien qui séparât le monde du rail du monde tout court ».

L’Homme de Londres

Dieppe, la gare maritime

Dieppe, la gare maritime

Dieppe, quai Henri IV

Dieppe, quai Henri IV. Photo J. Simenon, août 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur l’illustration de gauche ci-dessus, la cabine de l’aiguilleur se détache nettement devant la gare maritime.

 

1945: Une dernière image de France avant longtemps

Dès qu’il a enfin obtenu les documents nécessaires à sa mission outre-Atlantique, Simenon quitte la France le 5 ou le 6 septembre 1945, embarquant à Dieppe avec Régine et Marc pour gagner Newhaven. Il devra toutefois patienter pendant une dizaine de jours à Londres, le temps que des places soient libres à bord d’un bateau danois en partance pour l’Amérique depuis Southampton, le « Lalandia ».

« Début septembre 1945. Dieppe et le bateau pour Newhaven. J’ai bien un peu une impression d’exil, en tout cas de quitter ce qui fut solide, immuable ».

Tigy Simenon, Souvenirs

« Nous ne nous embarquons pas seulement pour les Amériques, mais pour une autre période de notre vie ».

Tigy Simenon, Souvenirs

Pourquoi ne pas citer ici un texte de Simenon lui-même ? Parce que, dans son reportage intitulé Au Chevet du monde malade, il laisse entendre que le trajet vers l’Angleterre s’est effectué en avion…  Mensonge éhonté ? Reconstitution due à un trou de mémoire ? Ni l’un ni l’autre : demi-vérité, plutôt. Des documents officiels issus du Bureau britannique d’enregistrement des étrangers et conservés au Fonds Simenon de l’Université de Liège certifient en effet que Simenon a bel et bien atterri à Croydon le 20 août 1945, mais qu’il a quitté le Royaume-Uni le 30 août pour y rentrer, via Newhaven, le 6 septembre.

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