À la recherche de Glengarry

L’été s’est installé, avec ses événements plus ou moins essentiels, (l’euro, toujours l’euro, le Tour de France, la découverte d’un nouvel avatar de Dieu, le boson de Higgs, demain les Jeux olympiques… Autant saisir l’occasion pour relater, bien modestement mais avec force détails, mon petit tour estival et simenonien à moi.

Toute mon enfance a été  bercée par les noms magiques des lieux qui ont marqué  la vie de mon père et de la famille: Sainte-Merguerite-du-Lac-Masson, Sarassota, Bradenton Beach, Coral Sands, Tucson (j’y suis né!), Tumacacori, Stud Barn, Desert Sands, Carmel, Shadow Rock Farm, Vilnius, Odessa, Istanbul, Prinkipo, Batum, Malte, Conakry, Léopoldville, Stanleyville, Lakeville, Faradjé, Wamba, Guayaquil, les Tamaris, la Cour-Dieu, la Lézardière, la Richardière, la Gatounière, Golden Gate, L’«Ostrogoth», l’Isola dei Pescatori, Scharrachbergheim, la Schlucht, Igls, Punaauia, et j’en passe…

C’est ainsi que je me suis promis un jour d’essayer, au gré de mes propres voyages, de retrouver la trace de ces endroits qui me font rêver, et où j’ai parfois moi-même séjourné. En cela je suis aidé par quelques chercheurs qui ne m’ont pas attendu pour répertorier tous ces lieux qui ont compté pour mon père. Mais rares sont malheureusement ceux qui ont pu aller sur place, et c’est un grand plaisir (accompagné d’une certaine fierté, je l’avoue) de partager avec eux la joie de mes découvertes, surtout si elles sont inédites, comme ce fut (presque*) le cas la semaine dernière à l’issue de ma recherche de Glengarry!

En collationnant les informations sur les œuvres de mon père, je découvris un jour que, durant l’été 1946, il avait résidé  à Saint Andrews, petite station estivale assoupie depuis longtemps à l’extrême sud-est du Canada, dans une maison appelée «Glengarry».

 

Port de Saint Andrews, années 50

Il y avait écrit deux romans

Au bout du rouleau

Le Clan des Ostendais

et une nouvelle (On ne tue pas les pauvres types) avant d’entamer son périple américain “on the road”, relaté dans un excellent reportage: l’Amérique en auto.

Après des recherches approfondies, et consultation auprès Michel Lemoine, excellent spécialiste de Simenon, qui m’avait écrit avec son humour habituel: « Quant à Glengary House, c’est tout aussi négatif. […] au point que je me demande si cette Glengary House existe encore. (Pourtant, Saint-Andrews n’est pas si grand, nom d’une pipe) », je décidai de profiter de mes vacances en Nouvelle-Angleterre pour aller y voire de plus près.

Muni d’une carte du Maine des années 50, je persuadai Samira, ma compagne, de remonter la route No 1, que mon père avait suivie dans l’autre sens, depuis Portland jusqu’à Saint-Andrews, en passant par Freeport (village-outlet construit autour de L.L.Bean ouvert 7/7, 24/24, 365/365), l’île canadienne de Campobello (où se trouvait la demeure d’été de la famille Roosevelt, et accessible par la route uniquement depuis les USA), puis Calais (ici prononcé “Calass”), qui vit des jours meilleurs et dernière ville américaine avant notre destination finale.

Le poste frontière à Calais, ME, années 50

Le poste frontière à Calais, ME, 2012

Un périple de 10 heures qui laissera des traces dans notre relation 😉 , mais qui me permit de découvrir que l’Amérique en auto aurait pu avoir été écrit hier et était toujours d’une grande actualité.

Bon, dérogeant à nos habitudes et délaissant les motels et B&B dont nous sommes friands, j’avais réservé une chambre au Kingsbrae Arms, délicieux petit hôtel familial dont le propriétaire, Harry Chancey, nous accueillit à bras ouverts alors même que nous étions en retard pour le dîner, et organisé avec les Fundy Tide Runners une excursion en bateau à la rencontre des baleines qui remontent nombreuses en cette saison la baie de Fundy.

Mais de Glengarry, toujours point!

Le premier soir, je demandai à Jake, le Maître d’hôtel, s’il pouvait me recommander quelqu’un connaissant bien le village et son histoire et auprès de qui je pourrais me renseigner. Les Nord américains sont en effet très fiers de leur passé, qu’ils gardent bien vivant notamment grâce à de multiples sociétés historiques très actives jusque dans les coins les plus reculés.

Le lendemain, première bonne nouvelle. Une personne travaillant à l’hôtel, Pamela Rigby, avait trouvé dans un livre relatant l’histoire nostalgique du village la mention d’une maison «Glengarry» qui, au siècle dernier, était régulièrement louée à des visiteurs de passage qui ne pouvaient se permettre l’Algonquin, le grand hôtel du coin.

Hôtel Algonquin, années 50

Pendant que Samira faisait des photos, j’allai consulter les archives du comté de Charlotte, qui se trouvent dans une prison désaffectée, petite, plutôt sordide et sentant horriblement mauvais, dans l’espoir de trouver un cadastre et une adresse pour la maison.

Aucun cadastre, mais un visiteur réagit au nom de «Glengarry», et sembla se souvenir d’avoir aperçu une maison de ce nom sur Reed Street. J’avais maintenant le début d’une adresse! Le cœur battant, je récupère Samira et nous remontons lentement en voiture la rue en question quand Samira déchiffre dans l’ombre d’un porche le nom tant recherché.

Encore fallait-il que ce soit le bon «Glengarry», car celui-ci était en fait une petite clinique vétérinaire. Je sors pour prendre des photos quand j’aperçois un homme, debout dans le jardin, qui me dévisage calmement. Il me fait signe, je m’approche, circonspect (à quelques kilomères seulement, de l’autre côté de la frontière, les habitants sont armés et tirent facilement sur les étrangers qui s’aventurent sur leurs terrains), je lui raconte que mon père, sans préciser, a probablement séjourné dans cette maison, il y a fort longtemps, et que je souhaite prendre quelques photos, il me demande mon nom, je le lui dis, et, comme s’il m’avait attendu depuis toujours, il me tend un “high five” énergique alors que son visage s’épanouit dans un grand sourire.

Très vite il me raconte que lui et sa femme vivent là depuis la fin des années 70, qu’il s’appelle Roger Hoar, que, comme un grand nombre de maisons à Saint Andrews, celle-ci est mal isolée pour l’hiver, et qu’il en a toujours connu l’histoire ainsi que celle de ses anciens habitants. Je le prends en photo.

Roger Hoar

J’ai l’impression d’être Livingstone rencontrant Stanley, premier à faire une découverte capitale pour l’histoire de ma famille et de la littérature ( 🙂 !), lorsqu’il m’apprend qu’une équipe de télévision canadienne m’a devancé de quelques années. Saveur bien éphémère de la victoire… Mais qu’importe, ici comme le plus souvent, c’est bien le chemin qui compte, qui m’a permis de vivre avec Samira un de ces road trips teintés de nostalgie que nous affectionnons tant.

Et puis, j’ai enfin vu «Glengarry»!

Glengarry, 126 Reed Street, Saint Andrews, N.B.

* Pour une découverte véritable, voir dans un prochain commentaire ma découverte de Stud Barn, à Tumacacori.