Ce week-end, j’ai profité de la projection de «L’Escalier de fer» au festival de la fiction TV de La Rochelle, pour visiter une fois de plus la ville sous le signe de Simenon. Toujours avec pour compagnon La France de Simenon en images de Michel Lemoine et Claude Menguy, dont je cite ci-dessous (en noir) des extraits concernant cete ville.
Afficher Simenon en Poitou – Charentes sur une carte plus grande
À partir du 19 mai 1938 environ, en attendant que soient terminés en septembre les travaux d’aménagement de la maison qu’il vient d’acheter, Simenon occupe, jusqu’en septembre 1938, la villa Agnès, un meublé situé rue Jeanne-d’Albret, n° 4, dans le quartier de la Genette.
Juste à côté de cette habitation se trouvait, au n° 2, une pension de famille appelée Villa Le Rêve. Sur la carte postale ci-dessous, elle figure au premier plan, à droite, et masque presque entièrement l’habitation louée par l’écrivain. Ce voisinage explique pourquoi il est arrivé à Simenon d’appeler Mon Rêve la villa qui a constitué pour lui un domicile provisoire, mais où il a tout de même écrit deux recueils de nouvelles au moins, Le Petit Docteur et Les Dossiers de l’Agence O, ainsi qu’un roman, Chez Krull, terminé le 27 juillet.
« Ta mère [l’écrivain s’adresse ici à son fils Marc], Boule, Olaf et moi nous sommes installés pour la durée des travaux dans une petite villa “ Mon Rêve ” [sic] en bordure de La Rochelle et, le matin, pendant que les deux femmes se rendaient à Nieul pour se livrer à toutes sortes de besognes, j’écrivais ».
Mémoires intimes
Simenon commet ici une autre erreur, car Olaf, son fidèle compagnon depuis une dizaine d’années, était mort l’année précédente à Porquerolles et avait été inhumé au large de l’île. Le nouveau chien de la famille, baptisé Loustic, a même participé, peu après son arrivée à La Rochelle, à une exposition canine qui se tenait « sous les ombrages du fond de la place d’Armes », où il a obtenu le premier prix dans la catégorie « bouviers des Flandres »[1]. À l’époque, le triomphe de Loustic a suscité un autre écho surtout consacré à la satisfaction de ses maîtres :
« L’une des premières personnes qu’il nous a été donné de rencontrer à l’exposition canine a été le célèbre romancier Georges Simenon, revenu se fixer à La Rochelle pour quelques mois.
Georges Simenon et la charmante Mme Simenon étaient dans la joie, car le magnifique chien qu’ils exposaient venait d’obtenir un premier prix et celui qui a connu de si retentissants succès de librairie était aussi heureux de la victoire remportée par son compagnon à quatre pattes que des impressionnants tirages de ses œuvres ».
Robert Fong, « La France de Bordeaux »[2]
La maison « des sept jeunes filles »
En s’installant provisoirement rue Jeanne-d’Albret, Simenon était en pays de connaissance puisque c’est là que demeurait, au n° 19, un professeur d’anglais nommé Carel qu’il avait connu quand il habitait à La Richardière. À l’époque, ce professeur lui traduisait son courrier venu d’Angleterre et des États-Unis ; une de ses huit filles, Viviane, était en outre devenue la secrétaire du romancier. Il est d’ailleurs assuré que cette famille nombreuse a inspiré celle de Guillaume Adelin, professeur au lycée de Caen dans La Maison des sept jeunes filles, un roman écrit en 1937. Quarante ans plus tard, Simenon se souvient de sa secrétaire ; celle-ci lui ayant envoyé un télégramme pour son anniversaire, il lui répond par le même canal : « Je garde de vous moi aussi un souvenir très affectueux et je me permets de vous embrasser »[3]
C’est cependant La Rochelle qui conserve principalement les faveurs de Simenon, La Rochelle qu’il arpente en tous sens et dont il finit par connaître toutes les artères.
« Gilles, qui n’avait jamais mis les pieds à La Rochelle, savait qu’il n’avait qu’à aller rue de l’Escale, une vieille rue aux pavés inégaux entre lesquels poussait de l’herbe, avec des maisons surplombant les trottoirs et des arcades ».
Le Voyageur de la Toussaint
La rue de l’Escale est une de ces « rues de La Rochelle, aux pierres dorées par le soleil, aux maisons à arcades qui donnaient à la ville l’aspect d’un vaste cloître »
Le Clan des Ostendais
« M. Labbé marchait de son pas régulier, ni lent ni rapide et, pour la première fois, le petit tailleur remarqua qu’il était d’une extrême légèreté, comme la plupart des gros ou des anciens gros et qu’il ne faisait pas de bruit en marchant.
Il tourna à droite dans la rue du Minage. Kachoudas le suivait à vingt mètres à peu près, en gardant avec soin le milieu de la rue. […]
M. Labbé suivait le trottoir de gauche, celui de la chapellerie, mais, au lieu de s’y arrêter, il continua son chemin, tourna la tête, un peu plus loin, peut-être pour s’assurer que son voisin le suivait toujours. C’était superflu d’ailleurs, car les pas de Kachoudas sonnaient sur les pavés ».
Les Fantômes du chapelier
« C’était une rue à arcades, comme la plupart des vieilles rues de La Rochelle. Il ne pleuvait donc pas sur les trottoirs ».
Les Fantômes du chapelier
« Toutes les maisons de la rue avaient le même âge, dataient de Louis XIII. De l’extérieur, elles étaient restées les mêmes, avec leurs arcades et leur toit en pente raide, mais chacune, au cours des siècles, avait subi intérieurement des transformations diverses ».
Les Fantômes du chapelier
« Des buis taillés, dans des caisses peintes en vert, limitaient la petite terrasse du Café de la Poste. Le patron, qui n’avait pas encore fait sa toilette et qui nettoyait son percolateur, se montrait sur le seuil. Au milieu de la place, sur un socle de pierre blanche, se dressait, emphatique, la statue du maire Guitton [sic], coiffé d’un chapeau à plume de mousquetaire [sic] ».
Le Voyageur de la Toussaint
Il est à La Rochelle des établissements où l’on s’affiche moins qu’au respectable café de la Poste.
« Cela lui [Léon Labbé] rappelait ses premières expériences érotiques, quand il avait dix-sept ans. Il résistait longtemps avant de se plonger dans le quartier des casernes, où il y avait cinq ou six maisons à gros numéros, avec des femmes sur les seuils ».
Les Fantômes du chapelier
On retrouve « le quartier des casernes » dans Le Fils, où une hypothétique rue des Saules est « connue par ses lanternes rouges qui portaient de gros numéros »[28]. Cette rue transpose vraisemblablement la rue des Voiliers ou la rue de la Glacière, voisines de la caserne Renaudin et autrefois mal fréquentées, comme on dit.
Le bassin des chalutiers et la Ville en Bois
« Et maintenant on était dans le bassin des chalutiers sans qu’il eût rien aperçu de La Rochelle. Son hublot était peut-être du mauvais bord ? En mer, on avait frôlé des bouées rouges et noires qui marquaient sans doute le chenal. Puis des tamaris avaient défilé très près de la coque du Flint et les manœuvres avaient commencé, les sonneries du télégraphe, demi-vitesse, stop, arrière, stop, avant…
Il cherchait toujours la ville des yeux et, tandis que le Flint, au milieu du bassin, tournait sur lui-même, il ne découvrait que des rails, des wagons qui semblaient abandonnés, un vieux bateau aux jointures plaquées de minium, puis un talus pelé, des bâtiments frigorifiques. […]
Dans la Ville en Bois, dont les bâtiments en planches se dressent au bord des quais, le nom de Babin figurait sur une dizaine d’ateliers, forges, scieries, réparation de filets, montage de moteurs et, dans le bassin que Gilles venait de quitter, vingt chalutiers portaient sur leur cheminée l’as de pique qui était la marque de Babin ».
Le Voyageur de la Toussaint
Dans le quartier que devine Gilles Mauvoisin, un quai porte officiellement le nom de Georges Simenon depuis le 3 mars 1989.
La rue Réaumur est présente dans plusieurs romans de Simenon, mais deux surtout s’attardent dans cette artère aux « maisons cossues, hôtels particuliers pour la plupart ».
Le Testament Donadieu
« Il [Gilles Mauvoisin] savait fort bien, maintenant, où il était : dans un hôtel particulier de la rue Réaumur, la rue la plus aristocratique de La Rochelle ».
Le Voyageur de la Toussaint
« La forteresse Donadieu n’était pas rue Réaumur, où vivait la famille. Elle se dressait quai Vallin [sic], devant le port : un immeuble sévère de quatre étages, avec à peine assez de soleil pour y voir, où chacun des trente bureaux était une sacristie ».
Le Testament Donadieu
« Le brouillard s’était dissipé et n’était maintenant qu’une buée bleue, avec des recoins violets, qui flottait sur le port. Les lampes électriques, au bout des longs poteaux, étaient allumées
Un matelot attendait Gilles sur le pont, près de la rambarde, du côté opposé au quai. Il enjamba, se laissa descendre le long de l’échelle de pilote et se trouva debout à l’arrière d’un canot, sa valise à ses pieds
Ainsi, il paraissait encore plus grand, plus maigre, plus étroit. Son pardessus trop long augmentait cette impression, et aussi le fait qu’il était en deuil, tout noir et blanc. Les avirons clapotaient dans l’eau du bassin où s’étiraient les reflets des lampes et voilà qu’au moment où Gilles allait sauter à terre […], alors seulement, il eut conscience de ce que ce débarquement clandestin pouvait avoir d’extraordinaire, de l’inattendu de sa longue silhouette, de son bonnet de loutre et de sa ridicule petite valise
Intimidé, il se prit le pied dans des câbles, évita de justesse de s’étaler, atteignit enfin le bout du quai d’où, entre les bâtiments, il découvrit les lumières de la ville et le phare blême qui émerge curieusement des maisons du quai Vallin [sic] ».
Le Voyageur de la Toussaint
Le « Voyageur de la Toussaint » trouve-t-il un gîte place du Commandant de la Motte Rouge…
Dans Le Voyageur de la Toussaint, le héros, Gilles Mauvoisin hérite de son oncle Octave à condition d’occuper sa riche maison « très ancienne » à deux ailes, située au fond d’« une cour pavée » du « quai des Ursulines, plus sombre que le reste de la ville », « un quai paisible […], très large, aux petits pavés ronds », où « des dizaines de barriques étaient alignées devant un marchand de vins en gros »; le roman s’attarde aussi à « la forte odeur du vin quand on passait devant les barriques rangées sur le quai des Ursulines ». Un quai ainsi nommé n’existant pas et n’ayant jamais existé à La Rochelle, nous avons jadis émis l’hypothèse selon laquelle il transposerait vraisemblablement la place du Commandant de la Motte Rouge, à l’extrémité méridionale du quai Valin[4]. En effet, le roman précise que la maison occupée par Gilles jouxte une « ancienne église » servant « de gare aux cars Mauvoisin »; là, « des caisses, des tonneaux, des instruments agricoles » sont « rangés près des piliers de l’ancienne église, selon les destinations ». Or, il existe bien place du Commandant de la Motte Rouge une église Saint-Nicolas datant du XVIIe siècle ; aujourd’hui désaffectée, elle a servi d’entrepôt à une coopérative vinicole dès 1928 et elle abrite actuellement un hôtel.
… ou quai Maubec ?
Or, dans son ouvrage sur Simenon et les secrets de La Rochelle, Michel Carly propose, avec d’aussi bonnes raisons, de voir plutôt dans le quai des Ursulines le réel quai Maubec, proche, lui aussi, du quai Valin. Simenon aurait-il choisi d’attribuer à son quai romanesque le nom des Ursulines en se référant à la chapelle des Dames-Blanches, aujourd’hui désaffectée, mais voisine du canal Maubec ? L’« ancienne église » désignerait-elle l’église Saint-Sauveur, qui n’est pas désaffectée, elle, mais se dresse bel et bien le long du quai Maubec ? Celui-ci offre un autre point de rencontre avec le roman puisque s’y trouvait autrefois la tête de station des cars Brivin.
Alors que l’Allemagne envahit la Belgique et la France, le préfet de la Charente-Inférieure prie Simenon d’organiser l’accueil des réfugiés belges qui arrivent à La Rochelle. À la tête d’une petite équipe dévouée au sein de laquelle figure Lina Caspescha, le romancier s’emploie activement à cette tâche : du 14 mai au 9 août 1940 (l’armistice entre la France et l’Allemagne sera signée le 21 juin), il dirige le centre d’accueil de la gare qui apporte une aide efficace aux milliers de personnes affluant dans la ville. Dans un compte rendu de mission de neuf pages adressé au préfet le 17 août, Simenon écrit notamment ces lignes :
« C’est sur un quai de gare, le 14 mai, alors que les trains de réfugiés se succédaient à un rythme toujours plus rapide, que vous m’avez fait part de la faveur avec laquelle vous verriez la création, dans votre département, d’un centre d’accueil des réfugiés belges.
Le temps pressait. […]
Grâce à vous, le Centre d’Accueil Belge fonctionnait le même soir […].
Vous avez bien voulu, Monsieur le Préfet, me permettre d’utiliser une partie des baraquements installés en face de la gare — ce qu’on a appelé depuis le Camp de la Gare.
Monsieur le Maire de La Rochelle, d’autre part, a mis à notre disposition, pour y installer un bureau belge, la baraque démontable des sapeurs-pompiers de la ville.
Le samedi 18 mai, cette baraque, peinte aux couleurs belges et munie d’un téléphone, devint le Centre Belge, et nous pûmes utiliser, pour loger les réfugiés, les pavillons voisins où il ne fut fait aucune distinction de nationalités »[5].
Il faut imaginer l’endroit grouillant de réfugiés. Simenon a rappelé son activité au centre d’accueil dans ses Mémoires intimes, mais c’est dans Le Train que cet épisode de sa vie trouve un long développement romanesque. Nous n’en retiendrons que deux extraits, le deuxième faisant une furtive et malicieuse allusion au rôle joué par Simenon lui-même dans la réalité. Le narrateur est un réfugié de Fumay nommé Marcel Féron qui raconte, après les événements, comment il a vécu l’exode.
« Il existe les points de repère officiels, les dates, que l’on doit trouver dans les livres. Je suppose que chacun, selon l’endroit où il se trouvait à cette époque-là, sa situation de famille, ses soucis personnels, a ses propres repères. Les miens se rattachent tous au centre d’accueil, au centre, comme nous disions simplement, marqués par l’arrivée de tel train, par l’aménagement d’une nouvelle baraque, par un incident banal en apparence.
Sans le savoir, nous étions arrivés parmi les premiers, deux jours après que les trains eussent débarqué des réfugiés belges, de sorte que le centre n’était pas rodé.
Les baraquements, encore neufs, édifiés depuis plusieurs semaines, l’avaient-ils été en prévision de cet usage? L’idée ne m’est pas venue de poser la question. Probablement que oui puisque, longtemps avant l’attaque allemande, les autorités avaient évacué une partie de l’Alsace. […]
Puisque le centre d’accueil était destiné aux réfugiés belges, nous y étions irrégulièrement, Anna et moi. C’est pourquoi nous nous sommes faits tout petits, nous privant des premières distributions de soupe par crainte d’être remarqués.
On avait installé un fourneau bas, en plein air, puis deux, puis trois, puis quatre, avec d’énormes bassines, de vraies cuves, comme celles qui servent, dans les fermes, à la cuisine du cochon.
Plus tard, on a monté une nouvelle baraque préfabriquée pour la cuisine, avec des tables fixes où nous pouvions nous asseoir pour manger.
Suivi d’Anna, qui ne me quittait pas, j’observais les allées et venues. Je n’ai pas tardé à comprendre l’organisation du camp, qui était, en fait, une improvisation continuelle.
Un homme s’en occupait, un Belge, celui qui m’avait questionné à mon arrivée et que j’évitais autant que possible. Il était entouré d’un certain nombre de jeunes filles et de scouts, entre autres de grands scouts d’Ostende débarqués d’un des premiers trains.
On triait tant bien que mal, parmi les réfugiés, les utiles et les inutiles, c’est-à-dire ceux qui étaient capables de se mettre au travail et ceux, vieillards, femmes et enfants, qu’on ne pouvait qu’héberger ».
Le Train
[1] L’exposition canine , « La Charente-Inférieure », 10 juin 1938)
[2] 8 juin 1938.
[3] Télégramme daté du 15 février 1978 ; Fonds Simenon de l’Université de Liège
[4] Voir Michel Lemoine, Les villes charentaises et vendéennes dans l’œuvre romanesque de Georges Simenon, dans « Cahiers Simenon », n° 2, Les Lieux de la mémoire, Bruxelles, Les Amis de Georges Simenon, 1988)
[5] Copie conservée au Fonds Simenon de l’Université de Liège.
Monsieur Simenon,
nous Vous écrivons parce que, comme beaucoup d’autres admirateurs des œuvres de Votre père, nous sommes très déçus par la dernière traduction italienne de Monsieur La Souris par la maison d’édition Adelphi et nous Vous saurions reconnaissants si Vous aviez l’obligeance de nous contacter pour en discuter.
En vous remerciant par avance, Veuillez recevoir mes plus cordiales salutations.
Darwine Delvecchio (darwine@libero.it)
Mauro Gandini (maurog@toc.it
(Merci de me contacter, mon numéro de téléphone est le +39 349 073 9259 )