À la rencontre du Chien jaune et des Demoiselles Concarneau

Cette semaine, je profite d’une invitation de la librairie Dialogue à Brest, que je remercie, pour visiter Concarneau, la seule ville de Bretagne présente dans l’œuvre de mon père. Pour me servir de guide, j’ai fait appel à La France de Simenon en images de Michel Lemoine et Claude Menguy, qui sera bientôt publiée dans une section spéciale de ce site, et dont je reprends ci-dessous (en noir) des extraits concernant Concarneau.

Pour accompagner ma visite, deux livres important de Simenon qui se passent à Concarneau: Le Chien Jaune et, bien sûr, Les Demoiselles de Concarneau.

Les Demoiselles de ConcarneauLe Chien jaune

 


Afficher Simenon en Bretagne sur une carte plus grande

 

La villa Ker-Jean

Concarneau: Villa Ker-Jean

Concarneau: Villa Ker-Jean. Photo J. Simenon, juil. 2013

À la fin de 1930 et au début de 1931, Simenon a séjourné dans la partie centrale de cette villa qui dominait et domine toujours la plage des Sables-Blancs à Beuzec-Conq, localité qui, à l’époque, n’avait pas encore été rattachée à Concarneau. La maison louée avait été construite en 1928 et appartenait à Albert Gloaguen, un horloger-bijoutier de Concarneau qui possédait plusieurs villas aux Sables-Blancs. Celle-ci était divisée en trois parties, ce qui explique pourquoi elle porte les numéros 11-13-15 de l’actuelle rue des Sables-Blancs. Outre Le Pendu de Saint-Pholien, Simenon a écrit là plusieurs romans populaires qu’il devait à son éditeur Fayard. Il a souvent raconté qu’il s’était imposé, pour apurer cette dette, un véritable travail de forçat de l’écriture : jusqu’à quatre-vingts pages par jour. On ne s’étonne donc pas qu’il ait engagé une secrétaire du cru nommée Annick Garrec, les travaux ménagers étant assurés par une autre jeune Bretonne de l’endroit, Jeanne Mathieu, qui secondait Boule et que nous avons eu l’agréable surprise de rencontrer en 1985, alors qu’elle était devenue une alerte septuagénaire, mais demeurait toujours aux Sables-Blancs. C’est elle qui, tout en égrenant ses souvenirs, nous a permis de localiser la villa où séjournait Simenon : « Je revois encore Monsieur Sim qui, derrière sa fenêtre, était toujours à taper à la machine ». Parmi les romans populaires rédigés ici figure L’Évasion, dont l’héroïne occupe momentanément, au même endroit, une villa semblable à celle où résidait l’écrivain et dénommée Villa Morose dans le roman, cette appellation affective devant sans doute également quelque chose au Moros, fleuve qui se jette dans le port de Concarneau, ou au manoir du Moros de Lanriec, commune rattachée aujourd’hui, elle aussi, à Concarneau.

« De l’hôtel, on pouvait voir la Villa Morose, avec son haut toit de tuiles rouges, ses persiennes orange et les deux massifs d’hortensias qui flanquaient le perron ».

Christian Brulls, L’Évasion

(Note de JS: Ce n’est malheureusement plus vrai, la vue ayant été bouchée par de fort malheureuses constructions)

 

Les deux villas des Sables-Blancs

Où l’on découvre une villa jumelle de la Villa Morose et où l’on s’aperçoit que Jeanne Mathieu a inspiré une Jeanne-Marie romanesque :

 « C’était un tiède matin d’août. Devant les fenêtres de la villa, le ciel et la mer se confondaient dans un même bleu tendre tout pétri de rayons de soleil. Et la plage de sable fin était d’un blond roux que quelques maillots rouges et verts, malgré l’heure, égayaient déjà. […]
Une petite bonne du pays, en costume breton, la taille serrée dans son corsage de velours noir, la jupe ample, le frais bonnet de dentelle sur la tête, apporta le café brûlant dont le parfum subtil se répandit dans l’air. […]
— Dites, Jeanne-Marie, vous ne connaissez pas un autre médecin, plus près d’ici ?… […]
— Je ne sais pas… Mais j’ai entendu dire que le jeune monsieur qui habite la Villa des Bleuets est docteur…
— La villa qui est à cent mètres de la nôtre ?…
— Oui, celle qui a des volets bleus… […]
— Nos villas sont presque identiques… Je suppose qu’elles ont été construites par le même propriétaire… »

Christian Brulls, L’Évasion

La villa aux volets bleus s’appelait dans la réalité Ker-Yvonne. C’est la troisième dans l’alignement du fond sur l’illustration de gauche ci-dessous. Elle avait en effet la même architecture que la villa Ker-Jean, qui est la première à gauche dans le même alignement. Contrairement à celle-ci, la villa Ker-Yvonne n’existe plus : dans les années 1980, une violente tempête a rompu la digue et la villa s’est littéralement effondrée sur la plage.

 

L’hotel des Sables-Blancs

Plage des Sables Blancs

Plage et hôtel des Sables Blancs

Plage des Sables Blancs

Plage et hôtel des Sables Blancs. Photo J. Simenon, juil. 2013

 

Au premier plan se trouve l’hôtel des Sables-Blancs, appelé de Cornouailles dans L’Évasion et que l’on est en train de construire dans Le Chien jaune :

« Au sommet de la falaise, un hôtel, ou plutôt un futur hôtel, inachevé, aux murs d’un blanc cru, aux fenêtres closes à l’aide de planches et de carton »

Le Chien jaune

Hôtel des Sables Blancs

Hôtel des Sables Blancs

Hôtel des Sables Blancs

Hôtel des Sables Blancs. Photo J. Simenon, juil. 2013

 

Lors de son séjour, Simenon fréquentait cet hôtel et s’était lié avec son propriétaire, Pierre Chabrier. (Note de JS: L’hotel des Sables-Blancs existe toujours, au 45 rue des Sables-Blancs, et c’est là que j’ai eu le grand plaisir de séjourner). Quant au véritable hôtel de Cornouailles, il se situe sur la plage dite de Cornouailles, voisine de celle des Sables-Blancs.

Plage et hôtel de Cornouailles

Hôtel de Cornouailles

Hôtel de Cornouailles

Hôtel de Cornouailles. Photo J. Simenon, juil. 2013

 

 L’hôtel et le café de l’Amiral

Grand Hôtel de Clinches

Grand Hôtel de Clinches

Bar de l'Amiral

Bar de l’Amiral. Photo J. Simenon, juil. 2013

 

Outre L’Évasion, ce séjour concarnois a inspiré deux romans signés Simenon : Le Chien jaune et Les Demoiselles de Concarneau. Dans le premier d’entre eux, Maigret s’installe à l’hôtel de l’Amiral, dont le café devient le centre stratégique de l’enquête.

« Quai de l’Aiguillon, il n’y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les trois fenêtres de l’hôtel de l’Amiral, à l’angle de la place et du quai, sont encore éclairées.
Elles n’ont pas de volets mais, à travers les vitraux verdâtres, c’est à peine si on devine des silhouettes. Et ces gens attardés au café, le douanier de garde les envie, blotti dans la guérite, à moins de cent mètres.

En face de lui, dans le bassin, un caboteur qui, l’après-midi, est venu se mettre à l’abri ».

Le Chien jaune

« Vingt maisons qui donnaient sur le quai ou sur la place avaient une issue dans l’impasse. Et il y avait en outre des hangars, les magasins d’un marchand de cordages et d’articles pour bateaux ».

Le Chien jaune

 Si le Grand Hôtel, qui s’est longtemps nommé Grand Hôtel de Clinche, n’a pas perdu son appellation, le bar situé au rez-de-chaussée se targue aujourd’hui du nom de bar de l’Amiral, clin d’œil au roman de Simenon. Quand la réalité rejoint la fiction !

Rue du Guesclin

Rue du Guesclin. Photo J. Simenon, juil. 2013

Et l’on peut toujours parcourir, derrière le bâtiment, la ruelle que le roman appelle impasse (Note de JS: l’actuelle rue du Guesclin).

Quant au patronyme Le Clinche, Simenon l’a utilisé pour nommer le héros d’Au Rendez-Vous-des-Terre-Neuvas. Toutefois, il n’est pas assuré que ce nom, courant à Concarneau, provient de celui de l’hôtel : le patron d’un restaurant situé dans les années 1930 en bordure de la plage des Sables-Blancs et appelé Ti Chupen Gwenn (en breton : « petit gilet blanc ») ne se nommait-il pas Julien Le Clinche ?

 

Quai d’Aiguillon

Le quai d’Aiguillon — et non de l’Aiguillon — étant aujourd’hui baptisé avenue Pierre-Guéguin, l’établissement se trouve donc à l’angle de cette avenue et de la place Jean-Jaurès.

La bijouterie concarnoise d’Albert Gloaguen, propriétaire de la villa Ker-Jean, était située au n° 10 du quai d’Aiguillon,

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Bijouterie Gloagen. Photo J. Simenon, juil. 2013

c’est-à-dire très près du café de l’Amiral où quelques notables de la ville se retrouvent pour jouer aux cartes dans Le Chien jaune, roman dans lequel le quai est appelé « de l’Aiguillon ». On n’est donc pas étonné d’y lire cette précision où la réalité rejoint la fiction : « — Parfois le maire vient faire sa partie avec nous… Ou bien Mostaguen… Ou encore on va chercher, pour le bridge, l’horloger qui habite quelques maisons plus loin… ». On ne s’étonne pas trop non plus de découvrir dans Les Demoiselles de Concarneau un agent immobilier nommé Émile Gloaguen, domicilié, lui aussi, quai « de l’Aiguillon ». Et nous demeurons en Bretagne avec Jacques Gloaguen, un personnage du Comique du « Saint-Antoine » originaire de Quimper.

 

Le Passage de Lanriec

Lors de son séjour à Concarneau, l’écrivain a bien connu le Passage de Lanriec. À l’époque, si on le souhaitait, on pouvait accéder à ce village de pêcheurs par le bac partant de la Ville Close, comme on peut encore le faire de nos jours. Là, Simenon a fréquenté, comme à son habitude, le bistrot du coin, le café de la Marine, qui était le rendez-vous des pêcheurs et où l’on vendait aussi des fournitures pour la marine, ainsi que des provisions. Le romancier a fait de cet établissement, qui jouissait d’une vue imprenable sur les remparts de la Ville Close, le domicile des principaux protagonistes de son autre roman concarnois, Les Demoiselles de Concarneau, où nous surprenons Jules Guérec à la fin du chapitre premier. Variations pour obscurité et lumières alternées :

« Avant d’allumer, dans sa chambre, il regarda à travers les rideaux. La rue était noire. Au coin du quai, une lampe, une seule, dont les rayons pénétraient un à un dans sa tête. Il savait qu’en bas, sous les marches creusées dans le rocher, le passeur d’eau était assis à l’avant du bac, à attendre dix heures pour aller se coucher.
Le sol était lisse. On pouvait prévoir du brouillard. Des lumières scintillaient de l’autre côté de l’eau aussi, dans la vieille ville, la ville close, comme on l’appelait à cause de ses remparts.
Des lumières avec de longs rayons aigus, bien distincts les uns des autres. Sans doute n’était-ce pas nouveau ? Les lumières avaient toujours dû être pareilles. Mais c’était la première fois que ça le frappait ».

Les Demoiselles de Concarneau

Dans Le Chien jaune, Maigret lui-même ne dédaigne pas le bac : « Ils ne contournèrent pas les bassins, mais traversèrent une partie du port dans le bac qui fait la navette entre le passage et la vieille ville »

 

Le café de la Marine

Café de la Marine et les sœurs Créac’h

Café de la Marine et les sœurs Créac’h. Photo GS, © Simenon.TM

Café de la Marine

Café de la Marine aujourd’hui. Photo J. Simenon, juil. 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«Ce n’était pas un café. Ce n’était pas non plus une épicerie. On servait à boire, certes, mais n’importe qui n’entrait pas chez les Guérec, qui fournissaient surtout les bateaux en filins, en poulies et en provisions.»

Les Demoiselles de Concarneau

 

Ce café était tenu par les sœurs Créac’h, Josèphe, l’aînée, et Marie, la cadette. Toutes deux célibataires, elles ont inspiré à Simenon les personnages des « demoiselles » de Concarneau, Françoise et Céline Guérec. Leur sœur Yvonne était mariée, tout comme Marthe qui lui correspond dans le roman. On comprend donc aisément pourquoi celui-ci n’a pas gardé le titre initial, Les Trois Demoiselles de Concarneau, qui était le sien lors de sa prépublication en feuilletons, du 15 décembre 1935 au 1er février 1936, dans la Revue de France… Simenon avait conservé une photo de Josèphe et Marie prise sur le seuil de leur établissement.

À droite, Josèphe ; à gauche, Marie. Les sœurs Créac’h avaient un frère patron-pêcheur qui semblait les apprécier puisqu’il avait baptisé ses deux thoniers « Yvonnick » et « Marie-Josèphe ». Ce Louis Créac’h a inspiré au romancier le personnage de Jules Guérec, mais il ne possédait pas de véhicule et ne conduisait pas, contrairement à son répondant romanesque, auteur du tragique accident qui est à l’origine de son comportement déviant.

Rue Mauduit Duplessis

Rue Mauduit Duplessis. Photo J. Simenon, juil. 2013

« Il passa lentement, pour ne pas attirer l’attention, et il atteignit l’église de son quartier, s’engagea dans la dernière descente, très raide celle-ci, qui aboutissait au quai, juste en face du passage d’eau.
C’était son cauchemar, car il n’y avait pas de parapet et il lui semblait toujours que ses freins ne fonctionneraient pas ou bien que, se trompant, il appuierait sur l’accélérateur. Sa maison était l’avant-dernière […].»

Les Demoiselles de Concarneau

Le Passage de Lanriec

Le Passage de Lanriec. Photo J. Simenon, juil. 2013

ML 2010.09.30 11 h23.14

Le Passage de Lanriec

 

La « maison des Guérec », c’est-à-dire celle des sœurs Créac’h, nous l’avons retrouvée au Passage de Lanriec où elle existe toujours. Ce n’est pas l’avant-dernière, comme dans le roman, mais la dernière à gauche sur la carte postale, qui date des années 1930. Cette maison blanche qui abritait le café de la Marine (vitrine de droite) avait été bâtie en 1928 et était donc toute récente lorsque Simenon a fréquenté les lieux en 1930. Le café de la Marine disposait aussi de quelques chambres. Les pêcheurs de l’île de Groix y logeaient parfois avant leur embarquement. La tradition veut que Simenon lui-même y ait logé, chose que nous n’avons pu vérifier. La bâtisse située près de la jetée était l’usine Vermillard, une sardinerie qui a été détruite pendant la Deuxième Guerre mondiale.

 

La Ville Close

On s’en doute, l’œuvre de Simenon ne met pas particulièrement l’accent sur la Ville Close, fleuron touristique de Concarneau, où Maigret pénètre tout de même :

« Maigret traversa le pont-levis, franchit la ligne des remparts, s’engagea dans une rue irrégulière et mal éclairée. Ce que les Concarnois appellent la ville close, c’est-à-dire le vieux quartier encore entouré de ses murailles, est une des parties les plus populeuses de la cité. […]
Il ne faut qu’un rayon de soleil pour transformer Concarneau, car alors les murailles de la vieille ville, lugubres sous la pluie, deviennent d’un blanc joyeux, éclatant ».

Le Chien jaune

L'entrée des remparts

L’entrée de la Ville Close. Photo J. Simenon, juil. 2013

L'entrée des remparts

L’entrée de la Ville Close

La pointe du Cabellou

Des excursions qu’il a faites dans les environs de Concarneau, Simenon a introduit dans Le Chien jaune celle de la pointe du Cabellou. Un agent de police conduit Maigret vers ce lieu désert.

La pointe du Cabellou

La pointe du Cabellou

« — À partir d’ici, la côte est à peu près déserte… Il n’y a que des rochers, des bois de sapins, quelques villas habitées l’été par des gens de Paris… C’est ce que nous appelons la pointe du Cabélou [sic]… […] C’est mon collègue qui s’est souvenu de l’ancien poste de veille du Cabélou [sic]… Nous y arrivons… Vous voyez cette construction carrée, en pierres de taille, sur la dernière avancée de roche ?… Elle date de la même époque que les fortifications de la vieille ville… Venez par ici… Faites attention aux ordures… Il y a très longtemps, un gardien vivait ici, comme qui dirait un veilleur, dont la mission était de signaler les passages de bateaux… On voit très loin… On domine la passe des Glénan, la seule qui donne accès à la rade… Mais il y a peut-être cinquante ans que c’est désaffecté…
Maigret franchit un passage dont la porte avait disparu, pénétra dans une pièce dont le sol était de terre battue. Vers le large, d’étroites meurtrières donnaient vue sur la mer. […]
Maigret s’engagea dans un étroit escalier creusé à même l’épaisseur du mur, arriva dans une guérite ou plutôt dans une tour de granit ouverte des quatre côtés et permettant d’admirer toute la région.
— C’était le poste de veille… Avant l’invention des phares, on allumait un feu sur la terrasse… »

Le Chien jaune

 

Simenon reaches an unexpected new public in Italy

In early 2012, I was approached by Tommaso Calamita and Fiammetta Jahier, leaders of a young Italian “Indie Noir Rock’n’Roll Band”, as they describe themselves, who, out of admiration for my father’s work, were asking for the permission to christen their band “Bébé Donge” (from La Vérité sur Bébé Donge), and to create a graphic novel adaptation of the book to accompany the release of their album.

Now, after more than a year, Baby Zoe was born, 12 song have been written, their web site and Facebook page are operational, and on May 30 they won the MusicaLuce 2013 award which they received during the “Nastri d’Argento 2013” (the second oldest set of film awards in the world after the Oscars) for the video clip of “Il Matrimonio”, one of the songs in the album.

Bebe DongeFrom L to R: Gianfilippo Guadano, director of the video “Il matrimonio”, Fiammetta Jahier and Francesco Pradella, the drummer of the band.

Another clip is also completed for the song “Sono Sola”, using excerpts from the first Bébé Donge film with Jean Gabin, and they are working with graphic artist Maurizio Ribichini on the graphic novel, for a planned release together with the album in the fall of this year.

Tommaso adds:

… Last but not least, we’re officially invited to present our work (interaction between indie music, graphic novel and video) during an international conference (Echi d’Oltremare: Italy and the Mediterranean…Interactions and Intersections -) that will take place in Rome at the Università di Roma Tre on June 14th. We are spreading Bébé’s words everywhere!

I look forward to meeting them during my next trip to Rome, and please join me in congratulating them and wishing them the best of luck.

Simenon et ses traducteurs

Après une première vague de traductions souvent tronquées et plus ou moins fidèles, de nombreux éditeurs étrangers font découvrir ou redécouvrir l’oeuvre de Simenon dans toute sa dimension littéraire. Comment fait-on “passer” l’univers de Simenon dans les différentes langues?

Avec Nicolae Constantinescu, (éditions Polirom, Roumanie) ; Caridad Martinez, professeur d’université, (éditions Acantilado, Espagne) ; Ena Marchi (éditions Adelphi, Italie), et moi-même. Animé par Laurent Demoulin, conservateur du Fonds Simenon de l’Université de Liège, au Salon du livre de Paris, le 24 mars 2013, avec la participation d’ ATLF/ATLAS-SGDL.

Les conditions de captation n’ayant pas été idéales, nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour la médiocrité du cadrage et du son.

À la fin de cette présentation, Monsieur Constantinescu m’a remis ce court texte qu’il m’a autorisé à partager avec vous:

POUR LE TRADUCTEUR DE SIMENON

Celui qui traduit les romans de Simenon, je pense surtout à la série des « Maigret », doit affronter plusieurs défis.

On dit que les livres de Georges Simenon ne sont pas difficiles à traduire. Mais il ne faut pas se tromper, car le choix des mots roumains pour restituer généralement les nuances et en particulier celles d’un temps passé est souvent délicat.

Premièrement, le titre : il n’a rien d’un titre de roman policier. II est une sorte d’énoncé fort simpliste qui n’a pas la vocation d’allécher les fans de romans policiers ordinaires. Mais il faut résister à la tentation de le changer par un autre plus attrayant, il convient de le respecter et d’habituer le lecteur à ce genre de simplicité déroutante.

Et puis, si on veut raconter le sujet, faire un résumé, on peut se trouver dans un certain embarras. Il n’est pas facile de convaincre qu’il s’agit d’un vrai roman policier. Et c’est bien vrai, car c’est aussi « autre chose », et le traducteur doit découvrir et restituer cette « autre chose » dans sa version.

Le traducteur doit aussi être très exact s’il veut reproduire la fameuse atmosphère Simenon : les saisons, les sons, les odeurs, la lumière et l’ombre, le sommeil avec ses rêves, tout y concoure pour tracer des tableaux vivants en quelques touches bien choisies. Et, évidemment, il ne faut pas oublier la célèbre pipe qui accompagne partout le commissaire, impatient de s’imprégner de l’ambiance des lieux où le crime a été commis.

Puis, vient un moment très excitant et le traducteur ne doit pas se méprendre sur les intentions de l’auteur, mais doit surtout souligner le doute. Simenon passe en revue les preuves, les données, les tuyaux dans une perspective d’incertitude. Et ici, nous pouvons envisager deux arrière-pensées de I’auteur : un défi pour le lecteur, qui aurait toutes les données pour dénicher le coupable (on peut essayer, si l’on veut !); une opportunité pour pousser le lecteur sur une fausse piste. Car Simenon ne se prive pas de dépister le lecteur.

À la fin, le dénouement n’a plus d’importance, on ne le pense pas comme quelque chose d’explosif, comme une grande surprise, un aboutissement inattendu. La punition ne compte qu’accessoirement – il arrive même au commissaire de fermer les yeux sur les fautifs.

On reste avec un trouble, rythmé parfois par la pluie (il pleut beaucoup !), avec la vie des personnages. Le comble de l’émotion ne vient pas se fixer la fin du roman, car elle nous pousse en arrière vers l’essence de la manière de vivre des protagonistes et les rôles secondaires sont quelquefois fabuleux.

D’ailleurs, le traducteur doit être très prudent quand ii s’agit d’un personnage secondaire, qui est toujours important et a sa raison d’être pour le déroulement de l’action. Comment aborder les personnages secondaires? II est nécessaire de bien comprendre les intentions de l’auteur qui les décrit en quelques mots. En réalité, ii ne les décrit pas, il les surprend dans leur milieu, dans leur environnement pour créer quelquefois une certaine inquiétude.

Le cas tout à fait différent est celui de Madame Maigret. Elle est toujours prévenante, attentionnée pour son mari, mais il est facile de l’imaginer clignant de l’œil et murmurant : « Oh vous savez, les hommes, il ne faut jamais les prendre au sérieux ! »

Quelqu’un m’a demandé un jour : « Quel plaisir trouvez-vous a traduire Simenon? »

Et bien, je peux dire que ce n’est plus un plaisir, mais une drogue. L’atmosphère, imaginée apparemment sans effort, est miraculeusement envoutante; les personnages sont d’une diversité qui peut bien déclencher une réjouissance presque vicieuse. C’est toujours différemment et étrangement passionnant de se laisser guider, maintes fois sournoisement, dans une nouvelle affaire par le « raccommodeur de destinées ».

Finalement, cette même personne m’a questionné sur l’adage italien traduttore traditore. Et je lui ai répondu que c’est assez juste et, en ce sens, je pourrais être vu comme l’un des grands traitres par le nombre de mes attentats. En tout cas, je fais des efforts pour rester un amoureux fidèle qui ne trahit jamais l’idée et pour ne pas abimer le style. Et j’ai toujours à l’esprit ce que disait Georges Simenon dans un interview : « Je cherche un style, non seulement neutre, mais un style qui colle a la pensée de mon personnage à ce moment-la. Le style doit suivre tout le temps, changer à mesure que pense mon héros. […]»

Enfin, sans cesse, je pense : « Si on traduisait de cette manière… »
« Mais non, car… » me dis-je alors tout de suite.

Mais tout ça, chers fans de Simenon, c’est, si j’ose dire, les si-mais-non du traducteur.

Revue de presse à l’occasion du lancement d’une nouvelle collection Simenon en Espagne (1)

À la suite de mon voyage à Barcelone le 4 octobre, voici une revue de presse complète:

El Mundo du 6 octobre 2012 (Interview de Laura Fernández)

La Vanguardia du 6 octobre 2012 (Interview de Nûria Excur)

ARA du 6 octobre 2012 (Interview de Jordi Nopca)

ABC du 8 octobre 2012 (Interview de Sergi Doria)

El Norte de Castilla du 6 octobre 2012 (Article de Angélica Tanarro)

El Mundo du 26 octobre 2012 (Article de Manuel Hidalgo)

El Correo de Andalucia du 1 er novembre 2012
(Article de Luis Eduardo Siles)

El Pais du 1er novembre 2012
(Article de Jordi Llovet)

Maigret increvable

Depuis le 17 septembre et jusqu’au 8 octobre, programmation sur Direct 8 de 15 Maigret de la série Crémer, à 13h45 et à 15h30, sauf le dernier jour à 10h15, selon le calendrier suivant:

17 septembre    Un échec de Maigret / Maigret et l’Étoile du Nord
18 septembre    Maigret à l’école / Maigret et les plaisirs de la nuit
19 septembre    La maison de Félicie / Maigret et la demoiselle de compagnie
20 septembre    Maigret et le clochard / Maigret voit double
21 septembre    Les petits cochons sans queue / Maigret et le port des brumes
24 septembre    Madame Quatre et ses enfants / La maison de Félicie
25 septembre    Maigret et l’improbable Monsieur Owen / Les petits cochons sans queue
26 septembre    Maigret et le Marchand de vin / Maigret à l’école
27 septembre    Les vacances de Maigret / Un échec de Maigret
28 septembre    Maigret et la maison du juge / Maigret et le clochard
1 octobre          Maigret et le port des brumes / Maigret et le Marchand de vin
2 octobre          Maigret et l’Étoile du Nord / Madame Quatre et ses enfants
3 octobre          Maigret et les plaisirs de la nuit / Maigret et l’improbable Monsieur Owen
4 octobre          Maigret et la demoiselle de compagnie / Maigret et la maison du juge
5 octobre          Maigret voit double / Les vacances de Maigret
8 octobre          Maigret voit double

À la recherche de Glengarry

L’été s’est installé, avec ses événements plus ou moins essentiels, (l’euro, toujours l’euro, le Tour de France, la découverte d’un nouvel avatar de Dieu, le boson de Higgs, demain les Jeux olympiques… Autant saisir l’occasion pour relater, bien modestement mais avec force détails, mon petit tour estival et simenonien à moi.

Toute mon enfance a été  bercée par les noms magiques des lieux qui ont marqué  la vie de mon père et de la famille: Sainte-Merguerite-du-Lac-Masson, Sarassota, Bradenton Beach, Coral Sands, Tucson (j’y suis né!), Tumacacori, Stud Barn, Desert Sands, Carmel, Shadow Rock Farm, Vilnius, Odessa, Istanbul, Prinkipo, Batum, Malte, Conakry, Léopoldville, Stanleyville, Lakeville, Faradjé, Wamba, Guayaquil, les Tamaris, la Cour-Dieu, la Lézardière, la Richardière, la Gatounière, Golden Gate, L’«Ostrogoth», l’Isola dei Pescatori, Scharrachbergheim, la Schlucht, Igls, Punaauia, et j’en passe…

C’est ainsi que je me suis promis un jour d’essayer, au gré de mes propres voyages, de retrouver la trace de ces endroits qui me font rêver, et où j’ai parfois moi-même séjourné. En cela je suis aidé par quelques chercheurs qui ne m’ont pas attendu pour répertorier tous ces lieux qui ont compté pour mon père. Mais rares sont malheureusement ceux qui ont pu aller sur place, et c’est un grand plaisir (accompagné d’une certaine fierté, je l’avoue) de partager avec eux la joie de mes découvertes, surtout si elles sont inédites, comme ce fut (presque*) le cas la semaine dernière à l’issue de ma recherche de Glengarry!

En collationnant les informations sur les œuvres de mon père, je découvris un jour que, durant l’été 1946, il avait résidé  à Saint Andrews, petite station estivale assoupie depuis longtemps à l’extrême sud-est du Canada, dans une maison appelée «Glengarry».

 

Port de Saint Andrews, années 50

Il y avait écrit deux romans

Au bout du rouleau

Le Clan des Ostendais

et une nouvelle (On ne tue pas les pauvres types) avant d’entamer son périple américain “on the road”, relaté dans un excellent reportage: l’Amérique en auto.

Après des recherches approfondies, et consultation auprès Michel Lemoine, excellent spécialiste de Simenon, qui m’avait écrit avec son humour habituel: « Quant à Glengary House, c’est tout aussi négatif. […] au point que je me demande si cette Glengary House existe encore. (Pourtant, Saint-Andrews n’est pas si grand, nom d’une pipe) », je décidai de profiter de mes vacances en Nouvelle-Angleterre pour aller y voire de plus près.

Muni d’une carte du Maine des années 50, je persuadai Samira, ma compagne, de remonter la route No 1, que mon père avait suivie dans l’autre sens, depuis Portland jusqu’à Saint-Andrews, en passant par Freeport (village-outlet construit autour de L.L.Bean ouvert 7/7, 24/24, 365/365), l’île canadienne de Campobello (où se trouvait la demeure d’été de la famille Roosevelt, et accessible par la route uniquement depuis les USA), puis Calais (ici prononcé “Calass”), qui vit des jours meilleurs et dernière ville américaine avant notre destination finale.

Le poste frontière à Calais, ME, années 50

Le poste frontière à Calais, ME, 2012

Un périple de 10 heures qui laissera des traces dans notre relation 😉 , mais qui me permit de découvrir que l’Amérique en auto aurait pu avoir été écrit hier et était toujours d’une grande actualité.

Bon, dérogeant à nos habitudes et délaissant les motels et B&B dont nous sommes friands, j’avais réservé une chambre au Kingsbrae Arms, délicieux petit hôtel familial dont le propriétaire, Harry Chancey, nous accueillit à bras ouverts alors même que nous étions en retard pour le dîner, et organisé avec les Fundy Tide Runners une excursion en bateau à la rencontre des baleines qui remontent nombreuses en cette saison la baie de Fundy.

Mais de Glengarry, toujours point!

Le premier soir, je demandai à Jake, le Maître d’hôtel, s’il pouvait me recommander quelqu’un connaissant bien le village et son histoire et auprès de qui je pourrais me renseigner. Les Nord américains sont en effet très fiers de leur passé, qu’ils gardent bien vivant notamment grâce à de multiples sociétés historiques très actives jusque dans les coins les plus reculés.

Le lendemain, première bonne nouvelle. Une personne travaillant à l’hôtel, Pamela Rigby, avait trouvé dans un livre relatant l’histoire nostalgique du village la mention d’une maison «Glengarry» qui, au siècle dernier, était régulièrement louée à des visiteurs de passage qui ne pouvaient se permettre l’Algonquin, le grand hôtel du coin.

Hôtel Algonquin, années 50

Pendant que Samira faisait des photos, j’allai consulter les archives du comté de Charlotte, qui se trouvent dans une prison désaffectée, petite, plutôt sordide et sentant horriblement mauvais, dans l’espoir de trouver un cadastre et une adresse pour la maison.

Aucun cadastre, mais un visiteur réagit au nom de «Glengarry», et sembla se souvenir d’avoir aperçu une maison de ce nom sur Reed Street. J’avais maintenant le début d’une adresse! Le cœur battant, je récupère Samira et nous remontons lentement en voiture la rue en question quand Samira déchiffre dans l’ombre d’un porche le nom tant recherché.

Encore fallait-il que ce soit le bon «Glengarry», car celui-ci était en fait une petite clinique vétérinaire. Je sors pour prendre des photos quand j’aperçois un homme, debout dans le jardin, qui me dévisage calmement. Il me fait signe, je m’approche, circonspect (à quelques kilomères seulement, de l’autre côté de la frontière, les habitants sont armés et tirent facilement sur les étrangers qui s’aventurent sur leurs terrains), je lui raconte que mon père, sans préciser, a probablement séjourné dans cette maison, il y a fort longtemps, et que je souhaite prendre quelques photos, il me demande mon nom, je le lui dis, et, comme s’il m’avait attendu depuis toujours, il me tend un “high five” énergique alors que son visage s’épanouit dans un grand sourire.

Très vite il me raconte que lui et sa femme vivent là depuis la fin des années 70, qu’il s’appelle Roger Hoar, que, comme un grand nombre de maisons à Saint Andrews, celle-ci est mal isolée pour l’hiver, et qu’il en a toujours connu l’histoire ainsi que celle de ses anciens habitants. Je le prends en photo.

Roger Hoar

J’ai l’impression d’être Livingstone rencontrant Stanley, premier à faire une découverte capitale pour l’histoire de ma famille et de la littérature ( 🙂 !), lorsqu’il m’apprend qu’une équipe de télévision canadienne m’a devancé de quelques années. Saveur bien éphémère de la victoire… Mais qu’importe, ici comme le plus souvent, c’est bien le chemin qui compte, qui m’a permis de vivre avec Samira un de ces road trips teintés de nostalgie que nous affectionnons tant.

Et puis, j’ai enfin vu «Glengarry»!

Glengarry, 126 Reed Street, Saint Andrews, N.B.

* Pour une découverte véritable, voir dans un prochain commentaire ma découverte de Stud Barn, à Tumacacori.

Simenon, l’homme de tous les excès (Pierre Assouline dixit), mais aussi le cheval!

Depuis quelques jours, déluge d’alertes Google sur Simenon en provenance d’Angleterre.

Intrigué, et un peu parano, j’imagine immédiatement une publication ou autre manifestation « furtive ». En effet, comme je suis propriétaire des marques « Simenon » et gérant du droit moral de mon père, peu d’événements le concernant peuvent se passer de mon accord préalable.

Après vérification, le crack n’est pas Georges, mais un superbe hongre de 5 ans qui vient de gagner coup sur coup, et haut la main, deux des prestigieuses courses du Royal Ascot carnival.

Toutes réflexions faites, dois-je exiger une part des gains ;-)? Georges aurait certainement fermé les yeux, mais l’homme au dix mille femmes? Qu’aurait-il pensé d’avoir donné son nom à un hongre et non à un étalon?

François Hollande offre « Tout Maigret » à Aung San Suu Kyi

Très grande émotion et fierté ce matin à la lecture de cet article du JDD

J’appelle immédiatement Sophie Lajeunesse des Éditions Omnibus qui me confirme la commande pressante et mystérieuse en provenance de l’Élysée, hier après midi, d’une collection « Tout Simenon ».

Branle-bas de combat dans les étages de l’éditeur de Simenon, puis consternation: une collection est bien disponible, mais il manque le numéro 13, pourtant le chiffre porte bonheur de mon père.

Appel à l’Élysée pour trouver une solution alternative, et grand soulagement: les ressources, même normales, des services du Président lui ont permis de dénicher in extrémis chez un libraire avisé (béni soit-il!) une collection complète de… « Tout Maigret ». C’est ainsi que François Hollande, confirmant ainsi sa fibre européenne, put offrir cette belle collection au Prix Nobel de la paix, qui a confirmé, lors d’une interview ce soir à TF1, son admiration pour l’humanité de Maigret, qui lui permit de s’évader souvent de sa longue assignation à résidence.

Petit problème diplomatique cependant: cela réduit considérablement les choix de cadeaux disponibles pour nos diplomates wallons et représentants de la ville de Liège, lieu de naissance de mon père!

Qu’ils se rassurent : dans quelques mois paraîtront les derniers volumes de l’intégrale des « romans durs » (non Maigret), que je me propose même d’aller livrer personnellement !